Killer of the Flower Moon, adapté d’un de ses livres, sort en salle aujourd’hui. Portrait d’un écrivain à part qui a décidé de raconter le réel comme dans un roman.
Quel est le point commun entre Paul Thomas Anderson (There Will Be Blood, Licorice Pizza), James Gray (Two Lovers, La Nuit nous appartient), Martin Scorsese (Taxi Driver, Shutter Island, Le Loup de Wall Street) ou encore David Lowery (A Ghost Story, The Green Knight) ?
En plus d’être les réalisateurs les plus en vue d’Hollywood, ils ont tous un seul nom à la bouche, celui de David Grann. Obnubilés par cet écrivain et par ses livres envoûtants, ils se sont mis en tête de porter ses œuvres à l’écran. Si pour Paul Thomas Anderson, le projet est finalement tombé à l’eau, pour les autres cinéastes, cette obsession nous a offert trois films parmi les plus intrigants de ces dernières années : The Lost City of Z, The Old man & the Gun et Killer of the Flower Moon qui vient de sortir en salle.
Journaliste emblématique, écrivain aussi discret que talentueux, qui est donc David Grann, ce génie de l’ombre qui a fait du réel la matière première d’une œuvre pas comme les autres, à la croisée du reportage et du roman ?
Quand journalisme rime avec littérature
“Investigation is an art, let’s just be kind of artists”
Avec ce credo, Tom Wolfe, auteur culte du Bûcher des vanités, signait au tournant des années 1960 et 1970 la naissance du nouveau journalisme et changeait à tout jamais le visage d’une partie de la littérature américaine. Ce genre hybride mêlant journalisme et littérature allait fasciner une nouvelle génération d’écrivains désireuse de participer à cette grande aventure qu’est la narration du réel, fascinée par une idée : faire un roman avec des histoires vraies.
On peut citer les papes du true crime Truman Capote (De sang-froid, 1965) et Norman Mailer (Le Chant du Bourreau, 1979), la baroudeuse Joan Didion (The White Album, 1979), le roi du Gonzo Hunter S. Thompson (Las Vegas Parano, 1971), toute une famille d’auteurs qui ont marqué le XXe siècle littéraire. Aujourd’hui, le genre a évolué, il a changé de nom, on parle plutôt de “narrative nonfiction”. Il a surtout trouvé un nouveau saint patron.
Habituellement, quand vous croisez la route d’un grand reporter, il a une dégaine de baroudeur qui traverse la planète à la recherche du grand frisson. David Grann lui, n’a rien d’un aventurier. Gilet vintage, petites lunettes sur le nez, toujours un livre sous le bras pour l’accompagner, il a plutôt toute la panoplie de l’intellectuel new-yorkais.
Fils d’une grande éditrice, étudiant émérite, plume affûtée, il est un voyageur immobile qui, pour parcourir le monde, ne saute pas dans le prochain avion mais se plonge d’abord dans les livres, se réfugie dans les archives, prête une oreille attentive aux récits des autres. Bourreau de travail, obsessionnel de l’investigation, curieux maladif qui prend un plaisir enfantin à creuser les secrets des épisodes les plus méconnus et les plus fous de l’Histoire, depuis des années, l’écrivain passe plus de dix heures par jour dans son bureau, stores baissés, enseveli sous une montagne de documents pour écrire, mais surtout pour lire.
Parce que David Grann, c’est d’abord un flair, une capacité hors du commun à dénicher les histoires vraies les plus étonnantes, les figures historiques les plus excentriques, les tragédies les plus à même de questionner notre humanité. C’est d’ailleurs grâce à ce sixième sens qu’il entre en 2003 à la rédaction du New Yorker, magazine emblématique qui abrite dans ses pages les plumes les plus talentueuses du journalisme américain.
À l’époque, il a dégoté l’histoire idéale, celle d’un septuagénaire braqueur de banques qui s’est évadé 18 fois de prison en 50 ans d’activité criminelle. Le succès de son article, “Le Vieil homme et le fusil”, lance définitivement sa carrière. Quelques années plus tard, David Lowery le portera à l’écran avec un Robert Redford flamboyant en papy gangster.
Adepte du reportage au long, très long cours, les nomenclatures de la presse vont rapidement contraindre David Grann qui va décider en parallèle de s’émanciper du côté de la littérature pour prolonger certains articles ou raconter d’autres histoires. Devenu écrivain, il applique exactement la même recette. Son œuvre regorge d’illuminés et de drames incroyablement romanesques qui s’étaient perdus dans les méandres de l’Histoire : l’imposteur français Frédéric Bourdin, qui aurait usurpé plus de 500 identités à travers le monde dans Le Caméléon (2009), la disparition mystérieuse de l’explorateur britannique Percy Fawcett dans La Cité Perdue de Z (2010), ou encore l’expédition tragique d’Henry Worsley, aventurier mort de froid après avoir essayé de traverser l’Antarctique à pied, seul et sans assistance dans The White Darkness (2021).
David Grann s’amuse et réussit à nous embarquer avec lui parce qu’il écrit avec une certitude chevillée au corps. Pourquoi se fatiguer à inventer un récit et des personnages quand le réel dépasse largement la fiction ?
Grann de star
S’il y a un livre qui a fait entrer le journaliste dans la lumière, c’est Killer of the Flower Moon. Dans une enquête brillante, publiée en français sous le titre La Note américaine (2018), il raconte une série de meurtres qui décima la tribu des Indiens Osage, dans l’Oklahoma des années 1920 et ravive les fantômes douloureux de l’Amérique. Une œuvre puissante, corrosive que Martin Scorsese se fait aujourd’hui un malin plaisir à magnifier avec son film magistral.
Mais là où David Grann, en amateur de true crime, se penchait sur l’enquête, menée par le jeune Edgar Hoover, futur directeur du FBI, Martin Scorsese déplace la focale sur la communauté Osage et met le doigt sur la violence de l’Histoire américaine.
“Inspiré de faits réels.” Quelques mots magiques, inscrits en blanc sur fond noir au début du générique d’un film et toujours ce même sentiment qui parcourt les spectateurs de la salle, une envie folle d’en savoir plus, de comprendre comment tout cela a pu vraiment se dérouler. Les studios, et aujourd’hui les plateformes, ont bien compris cette attirance presque irrationnelle pour la narration du réel et sont prêts à tout pour acquérir les œuvres le plus emblématiques du genre.
Pas étonnant alors que David Grann soit devenu une des nouvelles coqueluches d’Hollywood et que dès leur sortie en librairie, ses œuvres fassent l’objet d’une course aux enchères féroce entre les plus grands producteurs du milieu. Plan B et Brad Pitt ont déboursé un peu plus d’un million d’euros pour The Lost City of Z, Scorsese et DiCaprio près de 5 millions d’euros pour Killer of the Flower Moon et viennent de miser une somme équivalente voire supérieure pour Les Naufragés du Wager, nouveau chef-d’œuvre de l’auteur qui vient tout juste de paraître en France.
Et comment leur donner tort ! Une tragédie maritime restée dans les annales de la Marine Britannique, un naufrage, de l’anthropophagie, un meurtre et un procès historique où les récits des survivants s’affrontent : cette épopée a tous les ingrédients du blockbuster inoubliable et résonne fort à l’époque de la post-vérité où on ne sait plus qui croire.
Pas impressionné par cette nouvelle exposition aux yeux du monde et par le joli pactole hollywoodien, David Grann n’a que faire de la course aux étoiles. Loin du star-système, il s’est déjà remis au travail, à la recherche de son prochain sujet. Une quête de longue haleine qui peut prendre des mois voire des années. Mais quand on aime, on ne compte pas.
Author: Timothy Craig
Last Updated: 1702052041
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